Jour 11 : Gällivare - Kiruna

Le 30/03/2020

La décision

J'avais mis mon réveil tôt afin d'être à l'aise pour attraper mon bus vers Saltoluokta, mais au final, ce temps va me servir pour avoir une dernière réflexion quant à la poursuite de mon aventure.

Il n'y a déjà plus moyen de modifier mon vol avec la Lufthansa. Les autres vols font faire le tour de l'Europe avant d'arriver à Lyon ou sont super chers. Ça se présente bien cette affaire ... J'étudie d'autres options. Il y a un vol Stockholm / Paris / Lyon opéré par Air France samedi vers midi à un tarif raisonnable par rapport aux autres, puis un vol Kiruna / Stockholm via Scandinavian qui me fait arriver dans la capitale suédoise vers 9h. Bon. Ok. C'est une solution, mais mince, je ne vais quand même pas abandonner comme ça là maintenant ! Ce serait terrible ! Je prépare ce voyage depuis des mois, ça m'a coûté un argent, un temps et une énergie monstrueux ! Abandonner au bout d'une semaine ? Non ! Pas possible !

Quelles sont mes autres options ? Si je fais la partie suivante, qu'est ce qui va se passer ? J'ai réservé deux nuits à Saltoluokta, ensuite il va bien m'en falloir cinq pour aller jusqu'à Kvikkjokk, en espérant ne pas être ralenti, sachant que j'ai encore ma blessure. On va donc partir sur une semaine. Après cette semaine ma porte de sortie est Jokkmokk. Le mieux depuis là bas pour retrouver un avion est de remonter à Kiruna. Donc depuis Kvikkjokk prendre un bus vers Jokkmokk, puis Gällivare, Kiruna. Ça commence à faire beaucoup de correspondances à organiser pour ne même pas être sûr d'avoir un vol au bout.

Continuer et essayer de finir la Kungsleden ? Un coup d'oeil rapide aux cartes me fait abandonner cette idée. Dans la partie sans refuges après Kvikkjokk, il y a l'air d'y avoir certaines étapes assez monstrueuses, avec des dénivelés pires que le dernier que je me suis pris avant Vakkotavare. Faire ça en sachant que je n'ai pas de refuge comme filet de secours, sans savoir comment je vais pouvoir rentrer après, ni si je vais pouvoir ? Non ! C'est trop pour moi ! Oui je joue à l'aventurier, mais il ne faut pas oublier qu'il y a encore quelques années de ça, je ne savais pas faire grand chose d'autre que pianoter sur mon ordi ou jouer à ma console. Je deviens aventurier sur les bords, mais je suis encore débutant et je suis déjà à des années lumière de ma zone de confort. Là, terminer dans ces conditions là, c'est trop pour moi. Même sans la question de l'épidémie, ça commençait à me sembler corsé vu les difficultés rencontrées les deux derniers jours.

Aller à Saltoluokta, profiter de mes deux nuits réservées, espérer voir des aurores le soir vu que d'après les prévisions il y a des chances ? Oui, ça ça me parait déjà pas mal comme plan. J'improviserai ensuite une fois sur place pour voir si je continue ou non. J'étudie la faisabilité de l'option en regardant les horaires de vol pour la suite. Put*in ! Les bus ne correspondent pas entre eux, ça m'oblige à reprendre une nuit à Gällivare, sans compter que les vols sont assez catastrophiques après. En plus, seront ils maintenus d'ici là ? Vu toutes les informations que je reçois, rien n'est moins sûr. Les prix d'Air France ont été figés par l'état jusqu'au 22, donc dimanche. Je ne serai pas dans un aéroport dimanche.

Entre temps je tombe sur un article de deux niçois complètement désabusés, coincés en Norvège où ils se font rejetés de partout car ils sont français et que les norvégiens ont fermé à double tour leurs frontières. Super rassurant !

Bon, il est l'heure de prendre le petit déjeuner, je descends. Sur qui je tombe ? Le vieux ! Mais c'est pas possible ! Tu me suis ? Il a essayé d'entamer la discussion mais je l'ai vite arrêté en lui disant que pour le moment vu les circonstances, je n'avais absolument pas envie de discuter avec qui que ce soit. Il me dit juste pour finir qu'un couple de suisses qui était juste derrière moi sur la Kungsleden avait abandonné à Saltoluokta pour toutes ces raisons.

Abandonner ... l'option m'apparait terriblement de plus en plus inévitable.

Bien qu'avec tout ça elle me paraisse anodine, j'ai toujours ma blessure, je suis patraque, je tousse, les suédois, le monde, deviennent paranos. Rentrer va devenir de plus en plus compliqué voire peut être même impossible. Je suis tout seul dans un pays étranger où les nuits d'hôtels coûtent très cher. Comment les choses vont évoluer si j'attends encore ? Rien que l'option des deux jours à Saltoluokta ajoute une énorme dose de frais et de complexité, alors qu'est-ce que ça va être si je repars pour une semaine ?

Ce que j'ai fait jusqu'à maintenant lors de cette aventure m'a demandé beaucoup de force mentale. J'ai dû me surpasser de nombreuses fois pour pouvoir avancer. Se lancer seul dans le froid, dans l'inconnu, sans savoir si j'allais réussir à atteindre le refuge, ou planter la tente dans de bonnes conditions, ça demande beaucoup d'énergie et de détermination. Mais là, avec tous ces doutes qui viennent s'ajouter, ça devient beaucoup trop pour moi. Je n'arriverai plus à dégager l'énergie nécessaire pour continuer dans de bonnes conditions.

C'est à partir de ce constat que j'ai pris la terrible décision d'abandonner. Ça a été vraiment atroce de faire ce choix. Je m'étais tellement investi dans ce projet que ce qui est en train de se passer me semble complètement irréel. Mais j'ai beau retourner le problème dans tous les sens, m'arrêter ici et prendre ce vol pour Lyon samedi depuis Kiruna semble être la moins mauvaise solution. Je suis au fond du trou, je n'arrive pas à retenir mes larmes, je n'arrive même plus à parler à mes parents au téléphone tellement j'ai la gorge nouée.

Et le pire a été que la moitié de mon entourage ne comprenait pas ma décision. Un message sur deux que je recevais était un message de soutien, l'autre me disait "Mais pourquoi tu rentres ? Tu es mieux là bas qu'ici ! Reste là bas !". Je sais qu'ils ne cherchaient pas à mal faire, qu'eux aussi étaient déçus et qu'ils voulaient m'éviter de regretter plus tard. Mais en fait ça a produit l'effet inverse. Ma décision a été terrible à prendre, alors qu'elle soit remise en question comme ça, sans avoir tous les éléments et sans être à ma place, ça m'a énormément perturbé et même irrité.

Alors oui je suis en voyage, dans un pays relativement sûr, loin du bazar pour le moment. Mais je ne suis pas sur un voyage les doigts de pieds en éventail à la plage ou à la piscine de l'hôtel avec un cocktail à la main. D'ailleurs depuis le début, je parle très peu de voyage et il ne me semble pas avoir utilisé le terme vacances une seule fois. Je parle d'aventure. Puisque c'est ça, c'est une aventure. Et une aventure, c'est éprouvant comme je l'ai dit plus haut. Bien qu'ils soient très bien aménagés et organisés, les refuges ne sont pas de tout confort non plus. Il n'y a pas l'électricité, pas l'eau courante. Il faut aller chercher l'eau dans un puit creusé dans la glace, couper son bois pour se chauffer, et surtout ça coûte 40€ la nuit ! Qui sait combien de temps je vais rester coincé et combien de nuits à 40€ je vais devoir payer si je reste ici ? Il y aura encore de la neige pour que je puisse tirer la pulka quand je pourrai repartir ?

Je ne parle même pas des hôtels en ville car niveau prix c'est encore pire.

Certes j'ai ma tente et des vivres, mais pareil, je ne vais pas vivre un mois sous ma toile à manger du lyophilisé et à m'affaiblir sans trop savoir quand ça va pouvoir se terminer car je ne peux pas rentrer chez moi.

Donc non ! Non je ne suis pas mieux là haut seul dans ces conditions. L'aventure et la survie c'est rigolo quand c'est maitrisé. Là ça allait commencer à ne plus trop devenir un jeu et je ne suis pas prêt pour ça.

Alors voilà, j'abandonne aussi attristé que je puisse l'être par ce choix.

Vers Kiruna

Le bus pour Kiruna part de Gällivare à 11h30 et me fera arriver vers 13h50.

En attendant je réserve mes nouveaux vols avec Air France et Scandinavian, je me trouve un hôtel pas trop cher pour deux nuits à Kiruna. Quelle m*rde ! Mon compte en banque va s'en souvenir de tout ça !

J'annulerai mes vols avec la Lufthansa plus tard.

J'essaye d'appeler Air France pour les prévenir que j'aurai des bagages volumineux comme c'est demandé dans leurs conditions d'utilisation, mais tout est saturé, pas moyen de les avoir.

Je range mes affaires, m'assure de ne rien oublier dans la chambre, pas comme à Abisko. Puis je me mets en route. Je compte large car promener la pulka sur le mélange neige / goudron dans Gällivare n'est pas chose aisée.

Le bus arrive, je monte dedans, machinalement. Mon corps est là mais mon esprit est parti je ne sais trop où. Je n'ai pas fait attention aux paysages ou quoique ce soit sur le trajet. J'essaye de me redonner le moral en me disant que depuis Kiruna j'aurai peut être toujours la chance de voir une aurore ce soir ou demain histoire de finir sur une note positive.

J'ai rejoins mon hôtel un peu plus facilement qu'à Gällivare. Les rues de Kiruna étaient enneigées, j'ai pu tirer mes affaires dans mon traîneau. En arrivant, devant la porte j'ai reconnu une pulka qui me disait quelque chose. Un gars sort : un des français du groupe de deux qui était avec nous jusqu'à Tjäktja et qui a bifurqué sur Nallo ! Bon et bien au moins je ne serai pas tout seul et j'aurai quelqu'un avec qui discuter.

On se raconte nos fins de séjour réspectives. Ils me parlent du vieux qu'ils ont croisé aussi un soir dans un refuge. Je n'ai pas eu besoin de leur donner mon avis sur la personne pour me rendre compte qu'ils avaient le même. Monsieur fait l'unanimité on dirait. Eux ont un vol demain. On s'échange nos numéros pour se retrouver le soir.

J'ai pris ma clé de chambre, je suis à l'étage mais il y a un ascenseur cette fois-ci (ouf !). Je suis monté, j'ai mangé un lyophilisé car je n'avais pas le courage d'aller me trouver à manger en ville à cette heure. Une douche, quelques appels à droite à gauche pour donner des nouvelles. J'ai attendu pas loin d'une heure pour avoir Air France, sans succès. Le temps est passé relativement vite. Ou plutôt je suis complètement hors du temps en fait.

Le soir j'ai appelé les deux gars, ils étaient en ville pour s'acheter de quoi cuisiner quelque chose. Moi je voulais aller au resto et me payer un bon truc après avoir mangé de la poudre pendant 10 jours. Je les retrouverai après. Je vais donc au restaurant de l'hôtel. C'est assez étrange car l'hôtel, mon étage en tout cas, fait assez bas de gamme alors que le restaurant fait plutôt grande classe.

Je me suis pris une bonne assiette de charcuteries et de fromages pour commencer, puis un burger ensuite. J'ai cru que j'avais eu les yeux plus gros que le ventre, mais finalement non, c'est passé. Je vais quand même devoir faire l'impasse sur le dessert je crois. La serveuse, toute mignonne, dans le pur style scandinave me fait de grands sourires et vient régulièrement me demander si tout va bien. C'est probablement très artificiel mais après une journée de merde comme ça, ça fait quand même du bien, son joli sourire est communicatif.
Je profite du moment de payer pour lui demander si elle connait un endroit relativement accessible à pied depuis le centre pour être à l'écart et voir les aurores. Elle me montre un endroit sur la carte puis me souhaite bonne chance. Je pars retrouver les deux français qui mangent dans la cuisine au sous sol. On discute un peu, puis mon plan pour se donner une dernière chance de voir du vert dans le ciel leur convient, alors on se met en route.

Les nuages qui se sont installés en début de soirée soldent rapidement nos chances, mais tant pis, ça nous aura fait prendre l'air et donné du temps pour papoter.

Aller, il est temps de mettre fin à cette journée. Demain ça devrait aller mieux.

Vos commentaires :

Par Nuk le 17 juin 2020 à 22:37
Bravo Sylvain ! Je découvre juste aujourd’hui ton blog et si l’aventure n’est pas allée au bout, j’ai l’impression que tu as repoussé tes limites assez souvent. Une expérience unique en tout cas :) Merci pour le partage !
Par Catherine et Jacky Marie le 2 avril 2020 à 18:52
Bravo Sylvain ! Tu nous transportes ! To écriture fluide nous transcrit bien l'ambiance, le froid, les rencontres, la douleur, tes émotions.... Dure épreuve ! Mais tu peux être fier de toi, tu es allé au bout des possibilités, le corona ayant décidé de la fin du voyage.... Tu auras pu expérimenter et tu en tireras du mieux pour la suite. Bravo ! Nous suivions les angoisses de tes parents !! Les parents d'un véritable aventurier ! Repose toi et récupère, la suite viendra... Bien amicalement
Par Pierre TOSI le 30 mars 2020 à 19:54
Personne n'était en droit de te donner des avis sur ta décision Toi seul , sur place était en mesure de prendre la décision qui te semblait la meilleure en fonction de plusieurs paramètres que les gens ne connaissaient pas. Tu peux être fier de ce que tu as fait L'organisation déjà c'est énorme et une semaine dans les conditions que tu as vécu , c'est balèze. Il ne faut pas avoir de regrets , tu répartira avec une grosse expérience Bon courage parce après les grands espaces , il faut supporter le confinement.
Par Altoz le 30 mars 2020 à 19:44
BRAVO, moi je dis bravo car tu t'es retrouvé dans une situation inédite. Si tu avais pu faire une vraie pause zen, tu aurais continué, j'en suis sûre, mais sachant ce qu'il se passait en France ... Tes parents, tes amis !!!! Tu es super, tu as un coeur. Tu ne pouvais pas les abandonner comme ça. Et personne ne te demande de fournir une perf ... Juste TOI et tu va te pardonner. A très vite. Biz

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