Jour 11 - Profiter à Rautulampi
Jour blanc
Je suis bien dans mon sac de couchage, au chaud. Un peu trop même. Je ne me suis pas enfilé dedans, je m'en sers comme d'une couette quand je suis dans les cabanes. Je me suis couché à côté de la fenêtre, alors j'en profite pour y jeter un œil, maintenant que j'en ai un d'ouvert depuis peu. Rien ! Que du blanc ! Le brouillard n'est pas parti pendant la nuit. Je referme mon œil et prolonge un peu ma nuit. Je n'ai pas de distance à faire aujourd'hui, je suis à l'abri, au chaud, rien ne sert de se presser. Un peu de repos ne fera pas de mal !
Je ne tarde tout de même pas trop à me lever. Mes nuits sont bien réparatrices, alors je suis plein d'énergie. C'est étrange d'ailleurs. J'ai l'impression de dormir moins longtemps que chez moi, mais je suis beaucoup plus reposé.
À l'autre bout des banquettes, je vois que mon compagnon à quatre pattes commence à s'impatienter, aux pieds de sa maitresse qui termine sa nuit.
Je m'habille rapidement pour aller aux petits coins, puis envoyer quelques messages, demander le bulletin météo aussi. Le temps que je manipule mon téléphone satellite, une femme du groupe de formation sort des toilettes sèches et fait peur à un lagopède qui était posé pas bien loin de moi et que je n'avais pas vu. "KKKKWWWWWAAAAAAAAAAAAPPPPPPP KWAP KWAP". Ahhh ! Donc Rebecca avait raison ! Ce sont bien eux qui font ces cris étranges que j'ai entendu près du lac il y'a quelques jours !
Voici une vidéo que je viens de trouver sur Internet, pour vous donner une idée de leurs cris : https://www.youtube.com/watch?v=u5wDEk1aF3U. Bon, avec le recul, je trouve qu'il y'a plus quelque chose de la poule plutôt que de la grenouille, mais dans le feu de l'action, je n'avais pas interprété ça comme ça.
Je fais ce que j'ai à faire, puis je rentre prendre mon petit déjeuner.
Ah ! Mes collocataires sont réveillés. Jimi a été libéré. Je prends mes céréales avec lui.
Une fois le ventre plein, je prends mon appareil photo avec le téléobjectif monté dessus, je mets les raquettes aux pieds, puis je pars me promener dans les environs. Objectif : trouver des lagopèdes !
Le brouillard a ses bons côtés. Comme il fait froid, il a tout repeint en blanc pendant la nuit. Du givre s'est formé sur à peu près toutes les surfaces possibles, et c'est plutôt chouette !
Le long de la petite rivière, du coin de l'œil, je repère une cible potentielle. Un petit oiseau qui semble trouver sa nourriture dans cette eau libre. Je le connais, nous avons le même chez nous. Je dirais que c'est un cincle plongeur. Je le prends en photo à la va-vite, car il ne m'a pas laissé beaucoup de temps. Le brouillard n'aide pas vraiment non plus. C'est plus pour vous montrer qu'autre chose.
Je continue ma marche, en m'arrêtant assez souvent, pour scanner du regard les alentours. Je cherche ces petites boules blanches au pied des arbustes. Mais non. Rien !
Je m'engage dans une petite vallée, bordée par une forêt très peu dense. Je vois des traces, je crois entendre quelques cris, mais je reste bredouille. C'est assez joli cet endroit. Ça mériterait bien que je parte faire une bonne balade par là. Mais pour le moment, je suis parti beaucoup trop à l'arrache. Je n'ai même pas pris mon sac à dos avec mes affaires de premiers secours. Il ne faut quand même pas trop jouer. Je rebrousse chemin. Je reviendrai plus tard.
De retour à la cabane, Rebecca est en train de refermer sa pulka et est sur le départ. On se dit au revoir et elle reprend sa route vers Kiilopää. La française qui était dans la partie privative s'en va aussi avec sa belle-famille. Il ne reste plus que le groupe en formation et moi. Quelques skieurs à la journée commencent à passer. Mais à cause du brouillard, il n'y a pas grand monde. Ce n'est pas plus mal.
Soudain, une idée me traverse l'esprit ! Et si je montais tout là haut, là où j'étais hier soir, pour prendre de l'altitude et espérer passer au dessus du brouillard ? Je chausse mes skis et me lance dans l'ascension de Raututunturit. Bon. L'idée n'était pas si mauvaise, mais malheureusement, ça ne monte pas assez haut. Je vois la couche de brume s'affiner, j'aperçois même un peu de ciel bleu à l'aplomb de ma tête, mais ça ne suffira pas. Tant pis.
Je redescends à la cabane pour manger.
J'ai un nouveau collocataire temporaire. Un finlandais qui profite du feu que nous avons démarré ce matin pour prendre son repas. Il ne parle pas très bien anglais mais nous échangerons tout de même quelques mots. Des curieux entrent à nouveau pour voir à quoi ressemble cette cabane toute neuve.
Le brouillard n'est toujours pas décidé à se lever. Ça me semble compromis pour aller voir le lieu que la française m'avait conseillé. En attendant de savoir quoi faire, je vais en profiter pour changer les pales de mon drone. Depuis le temps que je l'ai, je ne l'ai jamais fait. Avec les quelques crashs que je lui ai fait subir, ce ne sera pas du luxe. Je me dis que ça doit jouer sur la stabilité de l'appareil.
La tête dans le brouillard
Je retourne là où j'étais ce matin, en étant un peu mieux équipé cette fois-ci. J'ai l'impression que la neige s'est ramollie. Dès que je sors de ma propre trace, je m'enfonce profondément. J'aurais peut-être dû mettre les skis au lieu des raquettes. C'est moins maniable, mais la portance dans la neige profonde est tout de même un peu meilleure.
Soudain, alors que j'étais perdu dans mes pensées, je me fais surprendre par un cri strident. Je vois alors un rapace décoller de la pointe d'un arbre. Je me dépêche de déclencher, mais une fois de plus, en n'étant pas vraiment prêt et avec ce brouillard, le résultat est assez médiocre.
Il semblerait qu'il s'agisse d'un faucon émerillon. Le plus petit oiseau de proie de la Laponie finlandaise.
Je rebrousse chemin assez rapidement. Je m'enfonce trop dans la neige et je n'ai pas vraiment envie de forcer. Après toutes ces journées à tirer ma pulka, j'ai envie de facilité. Je retourne vers la cabane, en continuant de scanner chaque pied d'arbuste, pour voir si un lagopède n'aurait pas échappé à ma vigilance. Je tombe sur des traces de sang dans la neige. Probablement un qui s'est fait avoir par un prédateur.
De retour à Rautulampi, Kristina, la guide du groupe en formation, me demande quelques informations sur là d'où je viens. Elle cherche une trace où ça ne s'enfonce pas trop, pour emmener ses élèves en promenade en raquettes. Vu la description que je lui fait, elle abandonne l'idée d'aller par là-bas.
Je traine dans les alentours. Je me fais à l'idée que le brouillard ne disparaitra encore pas ce soir.
Le temps passe.
En fin d'après-midi, je vois arriver des gens que je connais. Il s'agit d'Anniina et sa mère, croisées la veille, qui reviennent de Porttikoski. Tant mieux ! Elles avaient l'air sympa, ça me fera de la compagnie. À peine le temps de se dire bonjour et de se raconter nos journées, qu'un autre groupe arrive avec une pulka. Trois personnes. Je n'ai pas trop compris si elles étaient ensemble ou pas. Attention à ce qu'on ne soit pas trop quand même ! Je suis bien en tout petit comité moi.
Nous nous retrouvons tous à l'intérieur. Rapidement, je me sens isolé. Ils sont tous finlandais et ne parlent qu'en finnois, donc naturellement, je suis sur la touche. Bon ! Je ne vais pas leur reprocher hein, c'est moi l'intrus, mais c'est ce genre de situation où même entouré, tu te sens bien seul, sans avoir les avantages de la solitude.
Le gars du groupe de trois ouvre une glacière de laquelle il sort des bouteilles de coca. Ah ouais ! Ok ! On est loin de l'ambiance lyophilisés réhydratés à l'eau de fonte et à la petite tisane pour donner du goût à la flotte.
Là où ça commence à devenir problématique, c'est quand monsieur se met à me parler en finnois et à se foutre de moi parce que je ne comprends pas. Il juge bon de continuer même après lui avoir expliqué que je ne parle pas sa langue. Sa copine (qui n'a pas l'air plus fine) rigole comme une pintade à côté de lui. Ça doit l'encourager. Bon ... visiblement les nordiques, qu'on prend toujours pour plus évolués que nous, ont eux aussi de bons gros beaufs. Ça se sent vraiment que je me suis rapproché de la civlisation. J'étais mieux tout seul finalement. Je les laisse à leurs occupations, j'embarque mon sac à dos et je retourne dehors. Les échanges intéressants, ce ne sera vraissemblablement pas avec eux.
L'étrange pouvoir du subconscient
En sortant, je tombe sur Kristina, qui revient avec son groupe. Elle m'annonce m'avoir fait une belle trace pour monter jusqu'au petit sommet de l'autre côté de la cabane. Elle me dit aussi qu'elle y a vu au moins une dizaine de lagopèdes. Je chausse les skis et je me mets en route pour voir ça. La montée n'est pas bien longue, mais je ne suis pas complètement rassuré. J'ai peur que la descente dans les arbres soit un peu trop raide pour moi vu mon niveau en skis et le manque de visibilité.
Je scanne, je scanne, mais je ne vois rien.
Au sommet, la vue est complètement bouchée.
Pour ne pas me mettre en difficulté à la descente, je décide de tirer large et de faire de grands "S", ou plutôt des "Z" vu que je m'arrête à chaque virage pour pivoter à l'arrêt. A chaque fois, j'en profite pour chercher du regard des lagopèdes. Il commence à être tard, il se met à faire sombre. Ils doivent être en train de se planquer pour la nuit. Bon ... bredouille, encore une fois. Nouveau Z, nouveau virage, je continue ... Non ! Attends ! Stop ! Il y'a quelque chose qui ne va pas. Mon subconscient a repéré un truc. C'est assez fou cette sensation. Tu n'as rien vu consciemment, mais une petite voix au fond de ton cerveau reprend le dessus puis te signale qu'elle a vu quelque chose de suspect et qu'il faut que tu regardes mieux.
Mais qu'est-ce que j'ai bien pu voir pour bloquer comme ça ? Au bout de quelques secondes d'observation, deux tout petits points noirs au loin attirent mon attention. Mais loin genre ... à la limite de la visibilité pour mes yeux quoi. À des collègues informaticiens, je dirais que j'ai vu l'équivalent de 3 ou 4 pixels sur ma rétine. "Non quand même pas", me dis-je. Ça doit encore être une de ces hallucinations. Je ne compte même plus le nombre de fois où de loin (ou même de près parfois), j'ai confondu un bout de branche ou un tas de neige avec un animal.
Dans le doute, je monte mon téléobjectif. D'ailleurs ... pourquoi je ne l'avais pas déjà monté ? Je pars chercher des lagopèdes et je ne monte pas mon télé ? N'importe quoi ! Une fois sur mon réflex, je zoome pour en avoir le cœur net sur ces deux petits points noirs. B*rdel ! C'en est un ! Un point pour le bec, un point pour l'œil ! Mais comment j'ai fait pour repérer ça d'aussi loin ? Incroyable ! Vraiment ! Le subconscient a des pouvoirs extraordinaires.
Je laisse le sac à dos là où il est, pour pouvoir me faire plus discret. Je m'approche avec les skis aux pieds, en glissant petit à petit accroupi. Il ne semble pas se soucier de moi, planqué sous sa branche. Clac ! Dans la boîte !
Bon ... entre la faible luminosité et le brouillard, les conditions ne sont pas optimales. La qualité des photos ne sera pas dingue, mais je n'aurai probablement pas mieux, alors il faut en profiter.
Je m'approche encore légèrement. Mince ! Je n'avais pas vu ! Il y en avait un autre juste à côté de lui, dans les branchages. Celui-ci a réagi à ma présence, ce qui a inquiété l'autre. Mais ça va, ils n'ont pas l'air trop gênés. Je ne voudrais pas les déranger alors qu'ils sont clairement en train de s'installer pour la nuit.
Le premier me regarde avec un air suspicieux.
Puis se met finalement à faire sa toilette. Ouf ! C'est plutôt bon signe. Je ne les ai pas dérangés.
Les voilà ces grosses pattes qui m'ont laissé plein d'empreintes de partout depuis le début du voyage !
J'ai essayé de l'avoir pendant qu'il faisait sa toilette, mais je n'aurai pas mieux qu'une photo un peu floue.
Aller, je vous fous la paix, je redescends.
Je prends bien soin de remercier Kristina pour l'info, en passant à côté de son groupe qui est en train de préparer un feu au bord du lac.
Le monde est petit
Me voilà de retour à la cabane où tout le monde parle finnois.
Je prends mon repas. Anniina et sa mère sont en train d'en faire autant. Du coup, elles discutent un peu avec moi en anglais, c'est cool. Mais les trois autres derrière ne peuvent pas s'empêcher de commenter en finnois tout ce que je dis. Ce n'est pas super poli ni agréable. Mais bon, il faut faire avec.
La mère d'Anniina insiste pour que je goûte le plat que sa fille est en train de préparer, parce que ce serait visiblement "le meilleur plat de Laponie". Bon, effectivement, c'est pas mal. C'est une crêpe bien épaisse en gros. Mais elles ont le même goût que celles que ma mère nous faisait quand on était gamins, alors j'apprécie. On parle un peu de mes photos, de ce que j'ai vu, alors je leur montre. Je les entends dire "revontulet", qui est un des seuls mots que je connaisse en finlandais : aurores boréales.
Vers 19h30 bien passées, donc tard pour ici, deux nouveaux arrivants déboulent dans la cabane. Wow ! Si tard ? Ils sont bien courageux ceux-ci. Je sens le gars perdre un peu patience quand il voit que la personne à qui il s'adresse ne lui répond pas clairement quand il lui demande si elle parle anglais. Mon oreille qui traine entend "french". Ah ! Des français ! Je ne suis plus seul ! À partir de ce moment, tous les finlandais se sont tus et le français est devenu la langue dominante de la partie non réservable de Rautulampi. Ça va me simplifier ma soirée !
Il s'agit de Joffrey et de son amie Agnès. Ils ont démarré de Kiilopää en début d'après-midi et on filé directement vers la cabine pour s'éviter une nuit à l'hôtel. Nous discutons un bon moment, le temps qu'ils mangent leur lyophilisé et moi mon dessert.
C'est amusant car je me rends compte que j'ai entendu parler de Joffrey récemment, sur Internet, avant de partir. En fait, pour une association, il s'est lancé dans un immense trajet à vélo, du sud de la France, jusqu'à Nordkapp, tout au nord de la Norvège. Il emmène avec lui la mascotte de l'association, Leo le lion. Le monde est petit !
Il fait une pause dans son long périple, pour se faire un petit trek en skis pulka avec son amie. Respect !
Si son aventure vous intéresse, vous pouvez aller voir son site : https://www.joffreymaluski.com/pedaler-pour-leo/ ou son compte Instagram.
Les finlandais sont couchés depuis un moment. Nous finissons nos discussions puis allons les rejoindre. Ça commence à être serrés sur les couchettes. Il ne fallait pas être plus !
Vos commentaires :
Il n'y a pas encore de commentaire pour cet article
Publier un commentaire :