Jour 6 - Pause à Luirojärvi

J'ai finalement rattrapé mon retard. J'ai mis trois jours pour rejoindre le lac de Luirojärvi. Je peux donc me permettre de passer plusieurs journées ici. Ça tombe bien, j'avais envie de faire une pause.
Le 27/03/2022

La météo dicte le programme

J'aurais aimé me lancer dans l'ascension du Sokosti, le plus haut sommet de la région, mais le ciel est encore bouché par les nuages. Monter sur un point culminant pour ne rien voir, ce serait un peu dommage. Les prévisions météo que je reçois sur mon récepteur satellite me disent que ça devrait être mieux le lendemain. Sachant ça, je préfère attendre pour me lancer là dedans. Je vais donc en profiter pour lever le pied aujourd'hui et aller me promener dans les alentours du refuge, à la recherche d'animaux et de leurs traces.

Un peu de soins

Comme rien ne presse, je profite d'être bien installé au chaud pour m'occuper des premiers petits bobos qui commencent à apparaître. Mes chaussures de ski étant toujours aussi mal moulées, je me retrouve avec une ampoule sur l'arrière du talon, malgré les précautions que prises. J'avais prévu le coup et j'ai utilisé une méthode assez radicale que j'ai lue dans un bouquin sur la médecine de montagne. Méthode qui m'a été confirmée par ma podologue de copine.

J'ai commencé avec une petite seringue achetée spécialement pour l'occasion, par aspirer le liquide à l'intérieur de l'ampoule. Puis, je l'ai ensuite remplacé par de l'éosine. Vous savez, ce produit rouge qui tâche bien. Je le sais parce qu'évidemment, en faisant une mauvaise manipulation, j'ai réussi à en mettre partout... Après avoir laissé agir quelques instants, je retire l'éosine, toujours avec la seringue, puis je recouvre avec une compresse stérile pour protéger.

Présenté comme ça, ça fait un peu artillerie lourde juste pour une ampoule, mais je préfère jouer la sécurité et éviter de me retrouver avec tout l'intérieur du talon écorché et infecté comme il y'a deux ans sur la Kungsleden. Mes pieds, j'en ai tout de même besoin ! Un peu. Je n'ai pas envie de souffrir le martyr à chacun de mes pas, alors je préfère être prudent. On me suggère de simplement placer un pansement seconde peau Compeed sur mon ampoule, mais non. C'est exactement comme ça que ça a mal tourné la dernière fois et ça m'est vigoureusement déconseillé par madame.

Différences philosophiques

Je dois bien l'admettre, à ce moment là de l'aventure, mon moral n'est pas très haut. Cela fait presque trois jours que je passe, avec la plupart du temps la vue coincée par les arbres et les nuages, puis c'est bien parti pour être pareil aujourd'hui encore. Pour l'instant, je ne trouve pas que cela mérite tout le mal que je me suis donné pour arriver jusque là. Sans parler du fait que je ne m'attendais pas à trouver tant de monde ici, bien que ça commence à se vider. Mais je me rassure en me disant que d'habitude, la nature a toujours fini par récompenser mes efforts. Alors avec tout ce que j'ai "payé" en avance cette fois-ci, la fin du séjour devrait être grandiose.

En discutant de cela avec l'autre Sylvain, il m'exprime son désaccord. Pour lui, c'est le meilleur moyen d'être déçu si je n'ai pas ce que j'espère. Car rien ne garanti que je l'aurai. Ce n'est pas tout à fait faux ! Mais dans les moments difficiles, il faut savoir montrer à son esprit la lumière au bout du tunnel pour tenir le coup. Surtout que contrairement à eux, je suis seul. Gérer mon moral est donc plus compliqué.

Il me dit qu'il préfère essayer de voir la beauté de partout pour rester positif face à ce qui l'entoure. Là dessus en revanche, je ne suis pas d'accord. Essayer de voir de la beauté partout, c'est plutôt une bonne idée, mais je pense qu'il faut aussi savoir accepter que des fois, les choses peuvent être décevantes. Si tout devient beau, plus rien ne l'est réellement. Accepter qu'il y ait de mauvais moment, c'est selon moi le meilleur moyen pour apprécier encore plus les bonnes choses. C'est nécessaire pour donner du relief à l'aventure. Sinon, ça reste plat.
Je ne suis pas pour le positivisme à outrance, façon américains qui trouvent tout "Awesome ! Awesome !" (Génial !). J'ai l'impression qu'au final, ça donne des gens constamment blasés avec un bonheur de façade très artificiel. Des fois, les choses sont merdiques et il faut l'accepter. Ça n'en rendra les moments géniaux que plus géniaux.

Alors oui, pour le moment, je suis un peu ronchon, un peu blasé, mais je sais que les choses peuvent changer. Et elles vont changer ! J'en suis sûr ! C'est pour ça aussi que j'ai choisi de faire un séjour aussi long. Pour maximiser mes chances d'avoir de bons moments.

Au revoir

Avant de me lancer dans ma traque aux traces d'animaux, on se dit au revoir avec Fanny et Sylvain. Pour le moment, ils sont en train de se faire chauffer le sauna. Car oui, il y'a un sauna dans ce refuge ! C'est pour ça aussi que cet endroit est l'objectif de pas mal de monde. Nous ne nous reverrons donc pas, car quand je rentrerai de ma promenade, ils seront partis.

Comme plusieurs autres personnes qui étaient avec nous plus tôt, ils pensent couper le circuit pour aller directement à la cabane de Lankojärvi. Ça leur a été déconseillé par le garde à l'entrée, pour les mêmes raisons qu'il m'a déconseillé l'itinéraire que je voulais prendre. Mais d'après le couple de finlandais qui était avec nous dans la cabane, ça passe. Plusieurs personnes sont déjà passées là bas depuis plusieurs jours, la trace est faite, ça le fait. Ils disent qu'à l'entrée du parc, ils découragent les gens de prendre ces itinéraires, pour éviter que n'importe qui ne s'y aventure et se retrouve coincé. Bon ... ça peut être une bonne solution pour moi de suivre cette trace. Ce serait certainement plus simple et moins dangereux que l'itinéraire que j'avais prévu au tout début. Puis ça m'éviterait d'avoir à revenir sur mes pas. Je vais réfléchir à la question.

Étant donné qu'ils avaient prévu beaucoup trop juste en nourriture, je leur ai donné quelques barres énergétiques que j'avais en trop pour les dépanner. Mon égo a quand même pris un petit coup en voyant comme ils étaient beaucoup moins bien préparés que moi. N'ai je pas un peu trop surestimé le niveau d'engagement de ce trek ? Est-ce eux qui sont trop à l'arrache ou moi qui me suis sur-préparé ? La vérité se situe certainement un peu entre les deux. Et une fois de plus, j'en reviens à la raison en me rappelant que je suis seul. Ce n'est absolument pas comparable. Je ne peux rien laisser au hasard. Je dois être capable de me sortir seul de toutes les situations. Il vient de là mon niveau d'engagement supplémentaire. Et en partie, il vient de là aussi le poids et le volume en plus dans ma pulka.

En sortant de la cabane, je me rends compte que le site s'est complètement vidé. Il n'y a plus que nous. Quel contraste par rapport à il y'a quelques heures où ça grouillait de monde !

Promenons nous dans les bois ...

... pendant que le loup n'y est p... Heu ! Attendez ! On est sûr qu'il n'y est pas en fait ?

Pour cette promenade à la recherche de traces d'animaux, je laisse les skis à la cabane pour partir avec les raquettes aux pieds. C'est plus maniable et je n'ai pas vraiment besoin d'aller vite ou loin aujourd'hui. Je commence par suivre une trace qui part derrière le refugre, probablement celle qui va au Sokosti. Puis, assez rapidement, je la laisse pour aller faire du hors piste dans les bois.

Tiens ! Une belle trace de bestiole. Vu la taille et le style, probablement un renne. Je vais la suivre ! Même si le propriétaire ne sera pas au bout car elle n'est pas toute fraîche, ça me donne un objectif. En la remontant, on peut clairement voir où notre ami a fait des pauses pour grignoter le lichen sur les arbres.

Au bout d'un moment, la trace de renne croise celle d'un autre animal : un lièvre. Elle est beaucoup plus fraîche. Je pense même qu'elle est de ce matin tellement elle est nette. Aller ! Je change de bestiole et je passe à la traque au lièvre ! Cette nouvelle piste m'emmène dans un endroit qui semble beaucoup plus vivant. Il y'a plein de traces d'autres animaux dans la neige. Des lagopèdes, un écureuil, d'autres lièvres. Dans les sapins au dessus de ma tête, j'entends piailler et je vois voleter des petits passereaux. Des mésanges ! Rien de très original. Sauf que celles-ci, je ne les connais pas. Elles sont nouvelles pour moi, on ne les trouve pas chez nous. Il s'agit sans doute de mésanges boréales. J'en profite d'avoir le téléobjectif monté pour essayer de les prendre en photo. Mais elles sont un peu trop loin, ça ne rend pas grand chose.

Je continue à suivre ma piste de lièvre. Celle-ci m'amène sur le bord du lac. Je ne l'ai pas précisé mais le lac est gelé bien évidemment. Il y'a même quelques traces de skieurs et de motoneiges qui passent dessus. Ça devient brouillon. Mon lièvre tourne en rond, revient sur ses pas, ses empreintes se mélangent à d'autres. J'en perds le fil.

Bon ! Il est midi bien passé, je vais en profiter pour me faire un casse-croûte. Un peu comme les jours précédents : graines et fruits secs en entrée, semoule dans laquelle je rajoute quelques raisins en plat principal, un peu de viande séchée, puis barre de fruits en dessert. Ça ne fait pas rêver mais c'est énergétique, ça se prépare super facilement et c'est rapidement ingurgité.

Je fais quelques photos des alentours. Enfin ... de ce que les nuages me permettent de voir. La base du Sokosti notamment.

Je profite du calme et du silence. Mais cela ne dure pas. Rapidement, le ronflement d'une motoneige se fait entendre au loin. Je le vois débouler à toute vitesse en plein milieu du lac, pour le traverser. Il s'agit sans doute des gens du parc national qui s'occupent de ravitailler les cabanes en bois et en gaz.

Aller ! Je me remets en route. Je reprends la direction de la cabane, mais en faisant un large détour dans les bois. On ne sait jamais, des fois que je tomberais sur quelque chose. Je suis pendant un bon moment une trace de motoneige. C'est bien tassé, ça va bien, ça va vite. Sauf qu'en consultant mon gps, je me rends compte que ça ne m'emmène pas du tout là où je voulais. Il va falloir que je travaille mon orientation je crois !

C'est en arrivant au niveau de la toute première petite cabane de Luirojärvi (il y'en a plusieurs) que je vois au loin entre les arbres, deux rennes, sur le bord du lac. Un comble ! J'ai passé ma journée à vous chercher dans les bois et vous êtes là à côté du refuge ! Je me cache derrière la cabane pour monter mon téléobjectif et je commence à m'approcher discrètement. Bon ... clairement, pour la discretion, ça n'a pas fonctionné, ils m'ont tout de suite repéré et se mettent en mouvement. J'ai juste le temps de prendre quelques photos "preuve" pour montrer que je les ai bel et bien vus. Chacun d'eux porte un gros collier d'élevage autour du cou. C'est dommage. Pour le côté sauvage sur les photos, on repassera.
Ils se lancent dans la traversée du lac. Je ne pourrai pas les suivre, mais en me dépêchant d'aller sur une petite pointe à travers les arbres, je pourrai encore les observer un petit peu.

A peine terminé avec les rennes qu'une autre bestiole me signale sa présence dans les arbres. "Toc toc toc". Un pic ! Pas très discret ! J'ai vite fait de le repérer. Décidément, j'aurais eu meilleur compte de rester près du refuge aujourd'hui plutôt que d'aller me promener. Sans parler du couple de mésangeais qui tourne dans le coin depuis hier soir.

Tout comme pour les mésanges, il s'agit ici d'une sous-espèce que je ne connais pas. Il ressemble un peu au pic epeiche, mais ce n'est pas lui. Bien aimable, il me laisse le temps de lui tirer le portrait avant de repartir. Bon, malheureusement, il ne m'a pas sorti son plus beau profil.

Pic

Il s'agit peut être d'un pic épeichette ou d'un pic tridactyle.

De nouveaux voisins

En arrivant à la cabane principale où je loge, je vois que j'ai de nouveaux voisins. Je les connais déjà et les reconnais facilement grâce à leurs pulkas puisque ce sont les mêmes que la mienne. Il s'agit du groupe de hollandais. Ça me va. Ils sont gentils et discrets. Ils ont investi la partie réservable.

Comme ils sont en vadrouille et que je suis pour l'instant tout seul, j'en profite pour faire un brin de toilette. Après avoir bien relancé le feu dans le poêle de la cabane bien évidemment ! Une cuvette, avec un mélange d'eau chauffée et d'eau froide, mon éponge en racine de konjac, quelques lingettes et voilà ! Ce n'est pas parfait, mais c'est mieux que rien. Car oui, au bout de quatre jours de vadrouille, ça commence à ne pas sentir la rose.

Le temps passe, les hollandais rentrent. On discute un peu. Je vais refaire le plein de ma partie de la cabane en eau, dans un trou fait dans la glace du lac. Je joue un peu avec le drone. La météo m'annonce une couverture nuageuse de seulement 30% dans la nuit, et les prévisions d'aurores sont plutôt bonnes. J'en discute un peu avec eux car ils sont aussi intéressés. Ils sont en train de préparer le sauna. Je leur demande de me prévenir lorsqu'ils auront tous fini, pour que j'aille y faire un petit tour.

Personne d'autre n'arrive. Je serai donc tout seul dans mon dortoir cette nuit. C'est très étrange. Hier c'était plein à craquer, aujourd'hui il n'y a personne. Je préfère tout de même ça. Être en petit comité.

Noorderlicht !

La nuit commence tout doucement à tomber. Je me prépare à manger, écris quelques notes dans mon carnet, puis attends. Je jette fréquemment des coups d'œil dehors, mais rien. Je finis par perdre patience. Je me demande bien où ils sont leurs 70% de ciel dégagé. Mes coups d'œil deviennent de plus en plus espacés. Fait ch*** ! J'espérais un petit quelque chose ce soir, pour aider mon moral à aller dans la bonne direction.

Les hollandais viennent me dire qu'ils ont terminé avec le sauna et que je peux y aller. Bof. Il est déjà tard. Je n'ai plus trop envie d'aller me faire transpirer et m'humidifier maintenant.

Je suis allongé sur le banc de ma table, à attendre que le temps passe, à envoyer quelques messages par satellite à mes proches, en espérant que ça capte à l'intérieur. Soudain, j'entends un peu d'agitation dehors. Je tends l'oreille. "Noooorderliiiiiicht !!!". Alors, je ne parle pas néerlendais, mais noorderlicht, ça me fait quand même vachement penser à "northern lights" (aurores boréales en anglais). Je me redresse, quelqu'un toque à ma fenêtre "Northern lights" ! Ah ! Ben voilà ! Quand même !

Me voilà parti vers le lac comme une fusée avec mon ultra grand angle et mon trépied.

Un peu par mauvais réflexe, je les attendais au nord, face à ma fenêtre. Mais comme je suis à une latitude très élevée et que ce soir elles sont suffisamment fortes, elles m'ont dépassé et sont en fait visibles au sud. Par chance, c'est dans cette direction que le ciel a fini par s'ouvrir. Un peu.

Ce ne sont pas les plus jolies que j'ai eu l'occasion de voir, mais elles sont tout de même pas mal. Elles forment de jolis filaments dans le ciel. S'il reste dégagé et que ça veut bien s'exciter un peu, ça devrait être vraiment bien.

Les hollandais me rejoignent sur le lac et on discute un peu ensemble.

Petit à petit, les nuages reprennent leur place dans le ciel. Je m'arrête là pour ce soir. Déjà bien content d'avoir eu un petit quelque chose. Ça donne espoir ! Je ne souhaite pas me coucher trop tard, car je pense faire une grosse journée le lendemain.

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