Jour 7 : Kaitumjaure - Teusajaure

Le 24/03/2020

Ce matin, réveil à 6h30. Il a venté toute la nuit. Ça paraissait terrible sous la tente, mais ça ne l'était pas tant que ça. On a toujours l'impression que c'est bien pire que ça ne l'est réellement lorsqu'on est sous la toile. Ça secoue en faisant du bruit et on ne voit pas vraiment ce qui se passe.

Un cri d'animal au loin me sort du sac de couchage, mais impossible de voir la bête.

Il n'y a que neuf kilomètres à faire aujourd'hui, mais vu la fraicheur de la neige et le manque de trace tassée, je risque d'en baver.

Si jamais ça va vite quand même, je pousserai peut être jusqu'à l'étape d'après, histoire d'en faire deux en un jour. Mais j'ai un handicap en plus : en retirant ma chaussette hier soir, celle-ci est restée collée au pansement spécial que j'avais mis sur une ampoule. Tout est venu avec : le pansement, la peau ... du coup ça s'est empiré et j'ai tout l'intérieur du talon droit écorché.

Sur les conseils de Jean Louis, je tente de faire mon eau du matin au gaz. Il n'y a pas photo, ça va beaucoup mieux, ça me fait gagner un temps fou. C'est décidé, j'arrête l'essence !

Tout près de la tente je trouve des empreintes toutes fraiches. Une fois de plus, je ne dois pas être complètement seul dans le coin. Vu les traces, je pense même savoir à qui elles appartiennent.

Départ à 9h, je m'améliore ! Sans surprise, la neige est fraiche et épaisse, c'est dur d'avancer.

A peine ai-je rejoint la trace de la Kungsleden que je vois courrir à côté de moi tout un groupe d'une dizaine de lagopèdes, ces petites boules blanches toutes mignones. Je me disais bien qu'à force de voir vos traces et de vous entendre piailler par ci par là j'allais finir par vous voir !

Je me suis donc dépêché de sortir mon télé, que pour le coup je suis content d'avoir trainé jusqu'ici même s'il ne m'a pas servi avant. Ils sont allés m'attendre un peu plus loin. Je le savais que je n'étais pas seul !

L'oeil dans le viseur, après quelques clichés, j'entends des bruits de ski derrière moi. Comme quoi une rencontre peut en cacher une autre !

Il s'agit d'un vieux monsieur suédois à skis et pulka qui me rejoint. D'après lui, une tempête est annoncée le lendemain. Il me conseille de faire les deux étapes aujourd'hui et me propose de faire le chemin ensemble.

Ça m'arrange, comme ça on pourra alterner pour se faire la trace dans la poudreuse. Par endroit, la neige est gelée et moins profonde, ça avance un peu plus vite.

J'ai commencé par faire la trace. Je suis peut être allé un peu trop vite pour réussir la double étape du jour. J'ai laissé beaucoup de jus. C'est pour ça que je n'aime pas être avec quelqu'un. Soit je dois suivre le rythme, soit l'imposer. Je ne vais pas vraiment à la vitesse qui me convient.

Après avoir entendu des hurlements de chiens au loin depuis quelques minutes, nous croisons un traineau de samoyedes, ces espèces de huskies nounours.

Le musher s'arrête à notre niveau. Il est suédois. Ils discutent donc dans leur langue avec mon compagnon du jour, puis il repart. J'ai juste compris qu'il fait un truc qui s'appelle "la traversée blanche", qu'il a l'air d'être parti d'Hemavan, pour aller jusqu'à Kilpisjärvi. Vous savez, c'est le point où les trois frontières se rejoignent. Là où j'étais allé faire une petite incursion en Finlande, quand j'étais à Tromsø en Norvège il y a quelques années.

J'ai profité de leur discussion pour boire un coup et manger une barre de fruits.

Le temps que je range, le vieux me dit qu'il part devant faire la trace. Ok, ça me va.

Dans la grande montée, nous avons pris des chemins différents. Le poids que je tire étant un trop grand handicap pour pouvoir attaquer de front. Je pars donc en diagonale vu qu'il y a la place. Je vais plus vite que lui au final et le rattrape presque. Il me distancera tout de même sur le plat en haut car la beauté du paysage m'interdit de ne pas m'arrêter pour faire des photos.

Il est parti bien loin ! Je ne le vois même plus. Façon étrange de faire équipe.

La descente est raide. La pulka fait un tonneau au premier virage. Pareil au deuxième. Le temps passe et je perds patience. Je l'allège de mon sac à dos. Ça va mieux mais vu la raideur de la pente, ça ne le fera pas quand même. Je déchausse les skis et termine à pieds dans la neige profonde. Je m'enfonce parfois jusqu'aux cuisses et la pulka pousse fort derrière. C'est hyper casse gueule.

J'arrive finalement au refuge, plus tard que prévu. Je parle au gardien de l'étape d'après. Il me montre la montagne en face et me dit qu'il y a tout ça à monter dans les arbres et la neige profonde, puis que de l'autre côté la descente est tout aussi raide que celle que je viens de faire, mais encore plus longue. Mes espoirs de terminer la partie 1 et de rejoindre Vakkotavare ce soir s'envolent. Il reste bien cinq heures de marche et je suis épuisé.

Je voulais poser la tente de l'autre côté du lac, mais après réflexion, si je veux être sûr de pouvoir choper le bus pour aller à Saltoluokta et rejoindre un petit coup la civilisation demain, il va falloir partir tôt. A contre coeur je décide donc de dormir au refuge. Nous ne sommes que deux plus le gardien. Changement d'ambiance ! Les soirées précédentes me manquent déjà.

J'ai un rapport étrange avec les gens. Quand il n'y en avait pas, j'étais bien, j'avais le moral. Quand il y en avait trop, j'étouffais. Quand il y avait juste ce qu'il fallait, j'étais bien. Et là que nous sommes trop peu, je déprime. J'espérais peut être voir passer quelques nouvelles têtes, discuter, échanger nos expériences. Mon camarade du jour parait bien gentil au premier abord, mais il y a quelque chose qui m'inquiète chez lui. Je ne suis pas à l'aise en sa présence. Ses discussions sont étranges. "J'aime bien le petit déjeuner. Tu aimes ça toi ?". Heuu mec, il est 18h, si tu as que ça à me raconter, je préfère le silence tu sais.

Au début il devait seulement aller à Saltoluokta, puis le voilà qui me propose de faire équipe pour aller jusqu'à Kvikkjokk. Non merci, à la base c'est une aventure en solo. Même si je ne rechigne pas à croiser des gens, je ne veux pas d'un camarade fixe. Surtout toi que j'ai du mal à cerner. Puis ton insistance pour que je vienne au sauna m'inquiète.

Bref, le moral a chuté dans la journée. Mes amis me parlent du coronavirus sur mon récepteur satellite. Je sens une inquiétude grandissante dans leurs messages. Et voilà que même le gardien du refuge s'y met ! Cela comment à me travailler. Vais-je pouvoir rentrer ? C'est pour ça que je voulais être coupé de l'actualité, mais ça n'a pas marché.

Le gardien accepte que je lui refile mon essence. Je viens de gagner presque 2kg et de l'encombrement. Tant pis pour mon bidon acheté en France, ce n'est pas une grosse perte. Je garde juste une petite bouteille par sécurité.

Je réorganise un peu mes affaires, écris des messages, écris mes notes, étudie mes cartes.

Il faudrait quand même que j'arrive à cerner le rapport que j'ai avec la compagnie car j'ai peur qu'à part dans les mountain stations, l'ambiance soit la même qu'aujourd'hui. Je suis parti en solitaire mais je ne suis pas sûr de chercher forcément la solitude, même si pour le moment elle m'a plutôt fait du bien. J'avais le moral plus haut les matins où je sortais de ma tente.

Le sauna (sans le vieux) et la petite toilette qui a suivi m'ont fait du bien. Le gardien me dit que la partie suivante devrait être un chouia plus animée. C'est une étape de cinq jours qui peut s'attaquer des deux côtés alors il y a plus de monde dessus.

Les gens que je croise, en particulier les locaux et les gardiens de refuge semblent juger ce que je fais. Ils me regardent toujours bizarrement quand je leur dis que je veux planter ma tente. Il y a toujours un petit côté "aller viens, tu seras mieux à l'intérieur" qui me met le doute. Je ne les trouve pas très objectifs. Ils cherchent à tirer la couverture vers eux. Pas tous hein ! La dame à Kaitumjaure a été très bienveillante par exemple. Mais au final, je me rends compte que le moins je croise de monde, le plus je me sens en confiance. J'ai peut être aussi moins le temps de penser quand je suis dans ma mécanique de poser le camp.

Vos commentaires :

Par L'autre le 24 mars 2020 à 19:08
C'était le vent ... :D

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faut pas croire ce que disent les journaux