Jour 5 - Feux d'artifice

Le froid se montre plus mordant que prévu, me rendant la vie beaucoup plus difficile. Il ne m'avait jamais trop embêté jusque là lors de mes précédentes expéditions. Il va maintenant falloir le prendre en compte dans ma gestion du quotidien.
Le 22/04/2023

Réveil glacial

J'ai vraissemblablement bien géré mon "protocole" pour me coucher hier soir. Malgré la température ambiante, j'ai réussi à avoir à peu près chaud pendant la nuit. Ce matin, il fait un peu frais dans le sac de couchage, ma chaleur a fini par se dissiper, mais je ne suis pas frigorifié comme j'ai déjà pu l'être parfois par le passé.

Je parle de protocole pour me coucher, car c'est toute une aventure en soi. De base, je dors dans un drap de sac en polaire, que je glisse dans mon sac de couchage en duvet d'oies. Ensuite, mon sac de couchage se trouve lui même dans un sur-sac, une sorte de bache respirante qui le protège de l'humidité extérieure. Il faut que chaque couche soit bien refermée et correctement positionnée pour que la chaleur ne s'échappe pas au niveau de mes épaules et par l'ouverture de la tête. Ouverture qu'il faudra régler au minimum, pour n'avoir en gros que le nez et la bouche qui en ressortent, afin de ne pas expulser la condensation de ma réspiration à l'intérieur de mon couchage. Je mets aussi avec moi quelques bricoles pour qu'elles sèchent pendant la nuit. En faisant ça, je sacrifie un peu des performances de mon duvet en y insérant de l'humidité, dans le but de favoriser quelques affaires critiques, comme mes sous-gants ou mes chaussettes.
Donc déjà là, rien qu'avec ça, c'est toute une histoire pour se coucher correctement. Sauf que cette fois-ci, vu la température au moment d'aller dormir, j'ai rajouté encore une couche supplémentaire, appelée VBL (Vapor Barrier Liner), ou pare-vapeur en français. Il s'agit ni plus ni moins d'un grand sac plastique dans lequel je me glisse directement. Il permet de protéger le duvet de mon humidité corporelle. Alors certes, l'humidité reste contre moi, mais elle est à ma température et ne me refroidit donc pas. Cela permet aussi de gagner quelques degrés.

Bref, cette nuit là, j'ai bien géré mon couchage et même si je me suis réveillé très tôt, ce n'était pas à cause du froid. Une fois de plus, c'est la luminosité qui m'a sorti de mon sommeil, aidée par quelques cris d'animaux. J'ai reconnu celui des lagopèdes. Il y a un peu plus de traces dans ce secteur. C'est moins désertique que la veille.

Bon, il est temps de me sortir de mon sac de couchage. Courage mec !

Maintenant que je me suis un peu activé sous la tente et que le soleil la chauffe légèrement, la température est un peu remontée. Cependant, mon thermomètre intérieur indique que j'ai dormi avec du -27 ! Eh beh ! Sacrée perf !

Je m'habille rapidement pour aller voir ce qu'il se passe dehors, puis vidanger, parce que forcément, le froid, ça n'aide pas de ce côté là et ça commence à presser ! Le thermomètre extérieur m'indique que pendant la nuit, c'est tombé à -31. En attendant, il fait toujours -25. Une petite pensée au passage pour ceux qui disent que la tente n'a pas d'impact sur la température. Il suffit de regarder la différence indiquée par mes deux thermomètres pour se rendre compte que si !

Je ne prends pas mon petit déjeuner tout de suite. Je vais essayer de me réchauffer en marchant un peu avant, parce que ça pince !

Dehors, c'est magnifique ! Le soleil se lève et donne une lumière orangée à travers la petite brume matinale. Tout est recouvert d'une épaisse couche de givre. Ce contraste entre la douceur, la beauté de ces paysages et la rudesse du climat, embellit encore plus ces instants. Il a fallu se donner du mal pour y assister, alors ils valent de l'or.

Il est temps de prendre le petit déjeuner, puis de replier le camp pour continuer ma route.

Vers Jotka

Le soleil met du temps à chauffer l'air. Il fait encore très froid et ça me pose problème. Je suis obligé de me protéger le visage, mais cela balance plein de condensation sur mes lunettes et je finis par ne plus rien voir. Vu la luminosité, les lunettes de soleil sont indispensables. J'en viens à sortir ma cagoule coupe vent, qui permet de respirer sans tout envoyer vers les yeux. C'est un peu surdimensionné par rapport aux conditions, mais au moins ça me règle en partie mon problème.

Je ne suis pas serein. "L'attaque" du froid hier soir m'inquiète encore, alors je fais très attention à ce que je fais. J'essaye de ne pas rester arrêté très longtemps, pour ne pas perdre trop de chaleur. Alors forcément, je délaisse la prise de photos et de vidéos. Question de priorités !

J'arrive assez rapidement au début du lac Stuorajávri. À ma grande surprise, il y a plein d'habitations autour. Je ne m'étais vraiment pas imaginé la zone comme ça. La route est même praticable car je vois passer une camionnette au loin. Cela dit, ça n'a pas l'air très vivant quand même. Peut-être des résidences estivales.

Comme toute traversée de lac, c'est plat, alors ça file et j'avance bien.

Ça se réveille dans les parages et les premières motoneiges commencent à passer. En fin de matinée, je me fais doubler par un couple à skis, avec une pulka, qui font la même traversée que moi. Eux ont choisi l'option de partir légers et d'avancer rapidement. Ils vont donc bien plus vite que moi.

Aux environs de midi, j'arrive enfin à Jotka, le premier refuge qui figure sur ma carte. En soit, ça ne représente pas grand chose pour moi puisque j'ai décidé de ne pas compter sur les refuges pour cette traversée. Mais c'était un point de repère important.

Avec toutes les motoneiges que j'ai vu passer jusqu'à maintenant, je m'attendais à ce que Jotka grouille de touristes en train de préparer leur activité ou de se reposer, mais en fait non. C'était très calme quand je suis passé. Je pensais qu'il y aurait plus de vie ici. Ce n'est peut-être pas le bon moment de la journée. Je ne m'attarde donc pas et continue ma route. En plus, il commence à faire faim !

Le couple repart de Jotka juste devant moi. Ils ont dû faire une petite pause. Vu notre différence de vitesse, je ne les reverrai plus.

À la sortie du refuge, il y a un panneau indiquant Karasjok, à un peu plus de 80km. Ouaip ! C'est bien là que je vais ! 😊

En route pour le lac Iešjávri

Maintenant que Jotka est passé, mon prochain point de repère est le lac Iešjávri. Vu sa longueur et ma vitesse, il me faudra une bonne demi-journée pour le traverser. Je compte la faire demain. Ce qui veut dire que pour aujourd'hui, il faudrait que j'arrive à me rapprocher le plus possible de sa rive nord.

Je me retrouve à nouveau à me taper du dénivelé. Avec la charge que je tire, ce n'est pas chose aisée. J'arrive sur un petit plateau, complètement désertique, sans le moindre buisson qui dépasse. Ce n'est pas très photogénique, mais c'est assez impressionnant à vivre.

Je reçois des nouvelles de mes messieurs météo. Manu me confirme que les prochaines nuits seront aussi froides que la précédente, et que toutes les météo s'accordent à dire que je vais avoir un beau ciel bien dégagé.

Camille m'indique aussi qu'il va falloir que je serre les dents niveau froid au moins jusqu'à dimanche (nous sommes jeudi). Puis, beaucoup plus enthousiaste, il m'informe qu'une tempête solaire arrive, annonçant de très probables aurores boréales de forte intensité. C'était à peu près prévu, on ne savait juste pas exactement quand ce serait.

Le soleil met environ 27 jours pour tourner sur lui même. Et il y a 27 jours, il nous envoyait des aurores très puissantes, puisque ce sont celles qui ont été visibles jusque dans le nord de la France. Ce qui veut dire que ces jours-ci, nous nous retrouvons à peu près face à la même tâche solaire et qu'il y a des chances pour que le spectacle soit similaire. Sauf que cette fois-ci, je ne suis pas en France ! Je suis dans une des meilleures régions au monde pour assister au phénomène. Alors ça y est, ça commence à bouillonner dans ma tête !

Il faut que je me trouve un emplacement qui soit photogénique pour poser mon camp, tout en priorisant la lutte contre le froid pour ne pas recommencer comme hier. Car cette fois-ci, je suis prévenu : il fera -30.

Arrivé au bout du petit plateau, je tombe sur une longue descente d'où j'ai une vue dégagée sur ce qui arrive ensuite.

 

C'est parfait ! C'est à peu près plat, avec de tous petits reliefs qui me permettront de me percher, puis d'autres reliefs un peu plus gros sur la droit, pour jouer avec sur les photos de nuit. Je devrais trouver ma vie facilement là-dedans.

Un long convoi de motoneiges me passe. Certains me saluent, d'autres tracent tout droit.

Nouveau message de Camille vers 16h : les indicateurs sont déjà en train de s'enflammer, le choc avec la tempête solaire est plus fort que prévu. Il me dit que nous sommes à KP7, sur une échelle qui va jusqu'à 9. Si ça reste comme ça, ce soir, ça devrait être gigantesque ! Gère bien le truc Sylvain ! Trouve un beau coin, et surtout pas trop tard, pour avoir le temps de t'installer avant. Sur le papier, ça pourrait bien être la plus grosse soirée d'aurores que tu aies vécue.

Je me lance dans la descente.

Je trouve que les motifs formés par les couches de neige sur les reliefs à ma droite ont quelque chose de fascinant.

Je me trouve enfin un coin qui me convient bien. Je me suis bien rapproché de la rive du lac. J'ai une vue bien dégagée sans être trop exposé. C'est varié : plat au sud et à l'est, petits reliefs au nord et à l'ouest. Quelques petits buissons pour me servir de premier plan. Allez ! C'est parfait, ce sera ici !

Troisième campement

Je vais plus vite que la soirées précédente. J'essaye de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ou à minima, d'en faire moins ... La vessie est vidée, la boisson hydratante sera chaude et pas froide, la petite toilette est beaucoup plus rapide et ciblée, la veste grand froid et la chapka enfilée bien plus tôt.

La neige est dure, la tente se plante bien, je ne m'enfonce pas quand je marche sans skis ou raquettes. Ça me simplifie bien la vie !

La température est déjà en train de chuter.

Je me lance dans l'installation du réchaud. Je recharge la bouteille d'essence pour ne pas qu'elle se retrouve à sec en cours de route. Et là catastrophe ! À la mise sous pression de la bouteille, je constate qu'il y a une fuite au niveau du bouchon. Je coupe tout et machinalement, je m'empresse de prendre la bouteille à main nue. Grosse erreur ! Entre le métal et l'essence à température ambiante qui a coulé dessus, je vois mes doigts changer de couleur instantanément et commencer à coller dessus ! Ouch ! Voilà de belles brûlures par le froid ! Je le savais pourtant qu'il ne fallait pas faire ça ! Mais dans le feu de l'action, je me suis fait avoir.

Démontage de la bouteille pour voir ce qu'il se passe. Je l'ai peut-être trop remplie. J'en enlève un peu. Je recommence l'installation. Ça fuit toujours ... Et m*rde tiens ! Par sécurité, en prévision du cas où je n'arriverai pas à réparer, je prends une bouteille de gaz pour la réchauffer contre moi, dans une poche sous toutes mes couches de vêtements.

Je rouvre à nouveau. Une saleté semble s'être insérée sur le joint. Je l'enlève, je remonte et essaye à nouveau. Encore une fuite ! Mais pas au même endroit cette fois-ci ! La jonction entre la bouteille et le brûleur. Je démonte, je vérifie et nettoie le joint puis je remonte. Le temps passe ! J'ai bien fait de m'y prendre tôt, mais là ça commence à craindre. Si mon réchaud essence devient inutilisable, c'est problématique pour la suite du trek. Encore une nouvelle fuite, à un autre endroit ! C'est pas vrai m*rde ! Je resserre un petit écrou avec un outil donné avec le réchaud. Peut-être aussi qu'avec toutes ces manipulations, je me suis embrouillé et j'ai mis trop de pression dans la bouteille. Je remonte, encore ! J'ouvre toutes les vannes ... et cette fois-ci, ça a l'air bon ! Ouf ! Eh ben punaise ! Comme si ce n'était pas déjà assez compliqué comme ça !

Avant de me lancer dans ma routine du soir, je file un dernier coup dehors pour voir à quoi ça ressemble juste après le coucher de soleil.

Allez ! J'ai perdu beaucoup de temps ! Il faut que je me dépêche maintenant pour être prêt quand le show va commencer.

Je fais fondre la neige pour avoir de quoi remplir mes trois thermos d'eau chaude. En parallèle de ça, je prends mon repas. Des graines en guise d'apéro, un plat lyophilisé, un dessert lyophilisé lui aussi, du chocolat, une barre de céréales, quelques compléments alimentaires pour m'aider. Un petit brossage de dents et me voilà prêt pour la soirée !

Je vois par la porte de la tente qu'il y a déjà des bandes qui dansent dans le ciel.

Nuit colorée

C'est le grand moment que j'attendais. Que j'espérais. Si je viens me cailler les miches ici, c'est en partie pour ça ! Rien ne me le garantissait. Le champ magnétique terreste aurait pu être orienté dans le mauvais sens. La matière solaire aurait pu rater la Terre. La tâche solaire aurait pu cesser de nous envoyer du plasma. Le contact avec notre ionosphère aurait pu avoir lieu en plein jour. Le ciel aurait pu être plein de nuages, ou j'aurais pu me retrouver dans la brume, comme c'est souvent le cas dans ces régions du monde.

Et pourtant non ! Rien de tout ça ! Les éléments se sont tous alignés pour moi et cette soirée va être parfaite ! Bon ok ... il reste quand même le froid et ces -30° qui ne vont pas me faciliter la tâche. D'ailleurs, il m'embête déjà. La lentille de mon objectif est pleine de givre. Je risque de passer ma soirée à l'enlever.

Ça n'aura pas traîné ! À peine sorti avec mon réflex et ma caméra 360 qu'il y avait déjà de grandes voiles en train de danser dans le ciel. C'est partout au dessus de moi !

Un de mes objectifs principaux pour cette expédition est atteint : avoir une aurore belle, grande et puissante en photo 360° ! 😊

Je prends la traditionnelle photo de ma tente sous les aurores alors qu'elles sont en train de monter en puissance.

Le ciel se transforme rapidement. Les aurores ne dansent plus au dessus de ma tête mais sont en train de se déplacer plus au sud. Je les vois maintenant par le côté, ce qui me permet d'apprécier leur hauteur gigantesque. Une sorte de mur lumineux se dresse à l'horizon. C'est fabuleux !

Au tour de mon réflex d'entrer en jeu ! Quelques réglages, une petite lutte avec mon trépied qui ne veut pas coopérer et je déclenche. La première photo apparait sur l'écran. Je n'en crois pas mes yeux ! Wow ! J'ai l'impression de voir une photo retouchée tellement il y a des couleurs hallucinantes ! Mais non ! Elle n'est pas retouchée ! Je viens tout juste de la prendre, elle est brute ! C'est dingue !

J'ai vu des aurores impressionnantes par leurs formes, par leurs vitesses, par leurs tailles. Celles-ci, ce sont par leurs couleurs.

Je ne sais plus où donner de la tête ! J'ai envie de faire des photos avec la tente, sans la tente, avec moi, sans moi ... avec la caméra 360, avec le réflex ... Aussi en profiter tout simplement avec mes yeux.

Je vais être honnête : c'est sublime, c'est impressionnant, mais à l'œil nu, je ne vois pas les mêmes couleurs que l'appareil photo. Je vois surtout le vert en bas. Plus haut, je vois que c'est lumineux, je vois que c'est une autre couleur que le vert, mais je ne saurais pas dire laquelle. Cependant, croyez moi, vu la taille et l'intensité du phénomène, couleurs ou pas couleurs, ça reste renversant !

Bon ! Mon autre objectif est rempli ! Je vais maintenant pouvoir proposer une série sur les aurores boréales pour exposer sur des festivals photo l'année prochaine ! Ça enlève déjà une certaine pression ... 😊

Vers 22h environ, je vois quelque chose d'étrange au dessus de l'horizon ouest, légèrement nord. Un grand trait fin lumineux. Je pense d'abord au phénomène "steve", qui est très proche des aurores. Mais après avoir pris une photo, je me rends compte qu'il s'agit de tout autre chose. Ce sont en fait des fusées tirées par des scientifiques afin d'étudier les aurores, depuis le centre spatial d'Andøya, au nord des îles Lofoten.

J'apprendrai plus tard que d'autres fusées du même genre sont parties plus tôt dans la soirée depuis Kiruna, en Suède, mais je ne les ai pas vues partir.

Le ciel évolue encore. Le grand mur lumineux a disparu pour laisser sa place à des aurores plus diffuses, qui sont revenues au dessus de moi.

Par moment, il y a des regains d'intensité dans certaines zones du ciel.

J'ai beau avoir l'attention détournée du froid, mais mes pieds commencent à être gelés. Je rentre sous la tente pour les réchauffer, notamment en les frictionnant.

Je ressors voir un petit coup ce qu'il se passe dehors. Ça danse encore. C'est beau ! C'est probablement parti pour faire ça toute la nuit. Mais je pense que maintenant je n'aurai pas mieux que ce que j'ai déjà vu. Je commence à être fatigué, il faut que je dorme. Et mes pieds ont vraiment un mal fou à se réchauffer. Il est temps d'arrêter là cette magnifique nuit.

Vos commentaires :

Par Pascaline le 28 juillet 2023 à 09:09
C'est magique et, avec les commentaires, on peut ressentir aussi les émotions. Félicitations pour ces aventures polaires!!!!
Par Fab dudu le 24 avril 2023 à 10:05
ça avait l'air absolument incroyable. Merci pour ce partage !
Par Jean Pierre Saint Valery le 22 avril 2023 à 11:57
Oh là là ! quelle beauté ! Cette nature est merveilleuse. Que notre planète est belle ! Merci à toi pour affronter ces conditions afin de nous faire partager ton bonheur. J'ai hâte d'être à demain pour le N° 6.

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